Une touche de poésie à la vigne
Elle utilise un cheval de labour, traite sa vigne avec des décoctions d’herbes et respecte les rythmes de la nature: Anne Müller, une vigneronne d’Yvorne (VD) convertie à la biodynamie, travaille dur et risque gros. Pour le bien de tous.
Yvorne brille dans la lumière du soir: ce village, la principale commune viticole du Chablais vaudois, a conservé ses maisons paysannes typiques construites entre le XVIIe et le XIXe siècle. Rien ne semble avoir changé depuis une éternité dans cette bourgade d’environ 1000 âmes qui paraît tirée d’un tableau d’autrefois. Pourtant, cette quiétude n’est qu’apparente. L’arrivée d’une jeune femme qui bouscule les habitudes des vignerons locaux fait beaucoup jaser dans le village. La nouvelle venue n’a pas hésité à balayer d’un revers de main les méthodes de culture éprouvées et à imposer une gestion complètement différente du vignoble. L’étonnement a été d’autant plus grand que ce changement était l’œuvre d’une femme, une rareté dans le monde du vin dominé par les hommes. A 39 ans, Anne Müller, puisqu’il s’agit d’elle, est débordante de vie. Elle affiche un sourire communicatif lorsqu’elle raconte son histoire. Depuis 2007, elle s’est convertie à la biodynamie, qui préconise notamment l’abandon des insecticides et des herbicides chimiques et le recours à une approche anthroposophique du traitement de la vigne: «Je travaille non pas contre mais avec la nature. C’est pourquoi, plutôt que de combattre les nuisibles, je mets tout en œuvre pour renforcer les défenses naturelles de mes ceps», confie-t-elle. L’utilisation d’un cheval de labour pour effectuer les travaux de la vigne s’inscrit dans cette démarche. Par rapport à la viticulture traditionnelle, la biodynamie donne plus de travail pour un moindre rendement. Même si elle recherche également la rentabilité, Anne Müller intègre la satisfaction que lui procure la dimension philosophique de son projet dans son bilan. Son activité la comble de joie, malgré toutes les contraintes qu’elle comporte: «Je pratique le plus beau métier du monde!» Lorsqu’elle a commencé à travailler en biodynamie, les autochtones du village se sont moqués d’elle, la traitant de «nouvelle druidesse». Ils trouvaient ridicule d’enfouir des s de vache remplies de bouse entre les rangées de ceps et de traiter la vigne avec du thé aux herbes. Et d’où lui venait l’idée saugrenue de fixer le calendrier des travaux de la vigne en fonction des constellations cosmiques?
Dans le cercle restreint des 100 meilleurs vignerons de Suisse Au début, personne ne se doutait que cette vigneronne, la première de la région à se convertir à la biodynamie sur ses quatre hectares de vignes, récolterait rapidement de beaux lauriers: en 2013, le Gault et Millau l’a pourtant admise dans le cercle restreint des «100 meilleurs vignerons de Suisse». La revue alémanique Die Schweizerische Weinzeitung a pour sa part relevé la qualité de son Chasselas en décrivant «un excellent vin, plein d’harmonie» et la presse locale a fait l’éloge de cette «pionnière vaudoise». En quelques années, Anne Müller a montré qu’elle était capable de s’imposer sur le marché. Elle réfute totalement l’idée que ses méthodes puissent s’apparenter à de la sorcellerie: «Je ne fais qu’exploiter la force de la nature et des astres. Je préfère donc parler d’une approche poétique.» Elle ne met pas non plus volontiers en avant son rôle de pionnière: «La modestie est le b.a.-ba du métier». Elle a hérité cette sagesse de son père, qui dirigea comme son grand-père, le domaine familial. Anne Müller n’a marché que tardivement dans leurs traces. Plus jeune, elle était un peu «sauvage», comme elle l’avoue elle-même et voulait faire voler en éclats toutes les conventions. Elle a donc d’abord suivi une formation d’éducatrice spécialisée. Il a fallu des années avant qu’elle ne cède à l’appel de la vigne. Alors qu’elle travaillait encore comme éducatrice, elle se met à étudier les écrits anthroposophiques de Rudolf Steiner. Elle comprend alors que sa place est à la vigne, pour autant qu’elle puisse la cultiver en biodynamie. A l’âge de 29 ans, elle décide de suivre un apprentissage combiné d’agricultrice et de viticultrice pendant trois ans. Tout de suite projetée dans le grand bain Lorsque le collaborateur qui gère le domaine de son père tombe gravement malade, elle reprend les rênes de l’exploitation juste après avoir achevé sa formation. Du jour au lendemain, son père lui cède la place, signifiant par là qu’il a toute confiance dans ses nouvelles méthodes. Dès le premier jour, elle renonce aux produits chimiques au profit des décoctions d’herbes et autres préparations à base de silice de corne. «Je n’ai pas besoin de preuves de l’efficacité de la biodynamie. C’est simplement une démarche qui me correspond», confie-t-elle. Ses vignes sont envahies par les herbes sauvages, qui rendent la terre plus meuble car elle n’est plus lustrée par les herbicides ni écrasée par le passage de lourdes machines. A l’extrémité de chaque rangée de ceps, Anne a planté un rosier, un arbuste qui détecte très tôt l’éventuelle présence du mildiou (oïdium). Les roses obligent aussi le cheval de labour à contourner le dernier cep pour ne pas se blesser. «En plus, ces fleurs sont magnifiques», ajoute-t-elle. A l’entendre, chaque plante ou insecte, aussi petit soit-il, contribue au développement naturel de la vigne. Au milieu du vignoble traditionnel d’Yvorne, là où rien ne change depuis des générations, les raisins d’Anne Müller semblent vouloir lancer un message: une nouvelle ère a commencé. Pour en savoir plus sur l’agriculture biodynamique: